Le déréférencement pose le dilemme entre droit à l’information et vie privée

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Ce 20 avril 2023, le Conseil d’Etat français a rendu un nouvel arrêt intéressant en matière de déréférencement. Les faits étaient les suivants : M. X avait été condamné en 2017 par le tribunal correctionnel pour plusieurs infractions pénales. Cette condamnation avait été rapportée dans un article de presse publié par un journal régional et diffusé en ligne sur son site Internet. L’article, indexé par le moteur de recherche Google, apparaissait immédiatement lorsqu’on effectuait une recherche en utilisant son nom et prénom.

A plusieurs reprises, M. X a contacté Google afin de demander le déréférencement du lien vers l’article de presse litigieux. Face au refus de Google, M. X s’est tourné vers la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour qu’elle enjoigne à Google de procéder au déréférencement, au nom du respect de son droit à la vie privée. Toutefois, la CNIL a également rejeté la demande de M. X. Ce dernier s’est alors adressé au Conseil d’Etat pour qu’il censure la décision de refus émise par la CNIL.

 S’appuyant sur un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne[1], le Conseil d’Etat rappelle que « lorsque des liens accessibles depuis un moteur de recherche mènent vers des pages web contenant des données à caractère personnel relatives à des procédures pénales, (…), la CNIL doit en principe accéder aux demandes tendant à mettre l’exploitant d’un moteur de recherche en demeure de procéder au déréférencement de liens renvoyant vers de telles pages web ». Il n’est fait exception à cette obligation pour la CNIL d’enjoindre le moteur de recherche au déréférencement que s’il apparaît, compte tenu du droit à la liberté d’information, que l’accès à une telle information à partir d’une recherche portant sur le nom de la personne concernée est strictement nécessaire à l’information du public.

Dans la mise en balance entre, d’une part, le droit à l’information du public et, d’autre part, le respect du droit à la vie privée de la personne concernée, le Conseil d’Etat indique qu’il faut tenir compte, d’un côté, « de la nature des données en cause, de leur contenu, de leur caractère plus ou moins objectif, de leur exactitude, de leur source, des conditions et de la date de leur mise en ligne et des répercussions que leur référencement est susceptible d’avoir pour la personne concernée » et, de l’autre côté, « de la notoriété de cette personne, de son rôle dans la vie publique et de sa fonction dans la société ». Il faut aussi, dit le Conseil d’Etat, « prendre en compte la possibilité d’accéder aux mêmes informations à partir d’une recherche portant sur des mots-clés ne mentionnant pas le nom de la personne concernée ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat relève que les faits pour lesquels M. X a été condamné sont anciens, que M. X ne jouit pas d’une notoriété particulière et qu’il ne peut légalement plus avoir la qualité de dirigeant d’entreprise à la suite d’une interdiction de pouvoir encore gérer une société. Le Conseil d’Etat constate aussi que l’article de presse dont le déréférencement est demandé est le seul existant sur le sujet et ne contient aucune analyse ou commentaire de nature à nourrir un débat d’intérêt public. Enfin, le Conseil d’Etat observe que le jugement relaté dans l’article de presse a été réformé dans le cadre d’une procédure d’appel et que M. X a vu ses condamnations diminuées. La situation décrite dans l’article de presse litigieux ne reflète donc plus sa situation judiciaire à la date de la décision.

Pour toutes ces raisons, le Conseil d’Etat décide que « l’accès à ce contenu en ligne à partir du nom de ce dernier ne peut plus être regardé, à la date de la présente décision, comme strictement nécessaire à l’information du public, justifiant de maintenir le lien litigieux (…) la personne concernée a le droit au déréférencement des contenus la concernant ».

Antoine Declève

Cairn Legal


[1] GC, AF, BH, ED c. Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), C‑136/17, CJUE (grande chambre), 24 septembre 2019.